Tribune de travailleurs sociaux, juges des enfants et avocatEs pour la protection de l’enfance dans le Nord
Nous, travailleurs sociaux et médico-sociaux, juges des enfants du Tribunal de Lille, toutes et tous professionnelLEs de la protection de l’enfance et de l’assistance éducative…
Nous, avocats et avocates en protection de l’enfance
… dénonçons d’une même voix l’état catastrophique de la chaîne de prévention et de protection de l’enfance dans le Département du Nord et affirmons la responsabilité de l’exécutif du Conseil Départemental.
Le Conseil Départemental, seul service public sur le territoire en charge de la prévention et de la protection de l’enfance, a la responsabilité de mettre au service de cet enjeu des moyens à la hauteur des besoins.
Pourtant, près d’un millier d’enfants confiés au Département du Nord par la justice ne sont aujourd’hui pas protégés !
Pire… ils sont pour la plupart maltraités par l’institution qui les laissent dans des situations de danger au domicile familial, ou sont ballotés d’un endroit à un autre, d’un matelas à un lit de camp dans des couloirs de foyers de l’enfance, dans une chambre d’hôtel, sans savoir où ils seront le soir même, ni le lendemain… des bébés passent des journées entières dans l’attente d’un lieu d’accueil dans les bureaux des services sociaux dans les bras de professionnelLEs impuisantEs et démuniEs…
Ces enfants fragilisés par une situation familiale souvent chaotique , pour qui le lien de confiance à l’égard de l’adulte est fortement compromis, subissent une maltraitance institutionnelle conséquence de l’irresponsabilité de Monsieur POIRET et de son exécutif départemental !
L’accusation est forte et grave …. elle repose pourtant sur des faits !
Entre 2015 et 2019 :
- plus de 300 postes de travailleurs sociaux et médico-sociaux de terrains ont été supprimés ;
- le financement de la quasi totalité des clubs de préventions a été suspendu ;
- 700 places en foyers de l’enfance confisquées ;
- les enveloppes financières des allocations mensuelles d’aide sociale à l’enfance ont été drastiquement réduites !
Seule la mobilisation des professionnelLEs du Département fin 2018, soutenue par les Juges des Enfants du TpE de Lille, a contraint le Département à stopper la saignée.
Malgré cette mobilisation, la situation a continué à se dégrader.
Les conditions d’exercice des travailleurs sociaux et médico-sociaux, la perte de sens des métiers conjuguée à une charge de travail insupportable, n’ont fait qu’empirer… l’état des enfants dont le Département a la responsabilité aussi !
Aujourd’hui, il n’est plus possible de justifier des choix politiques et budgétaires par une situation financière catastrophique.
Le compte administratif 2021 présenté devant l’Assemblée Départementale le lundi 27 juin dernier démontre le contraire :
- Des recettes en forte hausse : +6,4%,
- Un endettement réduit au minimum : 3,4 ans… le seuil d’alerte étant fixé à 12 années.
- Une épargne brute en augmentation de 55,6% avec 344 Millions de côté,
- Pire encore, alors que la mission de prévention et de protection de l’enfance est une faillite complète, la décision a été prise pour 2022 d’alimenter ce « bas de laine » de 40 Millions d’euros !!!
L’exécutif départemental condamne des enfants déjà victimes de traumatismes importants à un avenir chaotique.
Face à l’augmentation de 10% en 2 ans des mesures de placement ordonnées par les Juges des Enfants, l’exécutif départemental tente aujourd’hui de se réfugier derrière les conséquences de la crise COVID.
Oui, la gestion de la crise sanitaire a contribué, par les confinements successifs, à l’augmentation des violences intra-familiales, à la fragilisation psychique des enfants en bas âge, etc.
Mais les conséquences de cette crise auraient pu être amorties si tous les filets de protection n’avaient pas été dégradés, si les moyens destinés aux missions de prévention n’avaient pas été réduits depuis des années, si l’assistante sociale de secteur, la puéricultrice, la psychologue de PMI et touTEs leurs collègues avaient gardé les moyens d’exercer leur travail auprès des populations dans les quartiers, les villages.
La chaîne de prévention et de protection de l’enfance ainsi démantelée n’a pas pu et ne peut plus faire face.
Face à cette situation insupportable, depuis le mois de juin, près de la moitié des équipes de travailleurs sociaux de l’Aide Sociale à l’Enfance du Département s’est vue contrainte d’exercer un droit de retrait partiel pour se protéger des conditions de travail intenables.
Ils et elles ont décidé d’arrêter de cautionner les dysfonctionnements et défaillances du Conseil Départemental du Nord en ne représentant plus leur employeur lors des audiences devant les juges des enfants.
Les travailleurs sociaux ne sont pas responsables de l’absence de moyen en nombre et en qualité pour réaliser leurs missions ; ils dénoncent cette situation depuis des années sans être entendus !!
ConscientEs des difficultés que leur décision engendre, ils et elles ne sont néanmoins plus en capacité de rendre compte lors des audiences, de la protection qu’ils et elles doivent garantir aux enfants.
Les juges des Enfants et les avocats sont, de leur côtés, conscientEs qu’il ne s’agit pas d’une défiance à l’égard du travail qu’ils réalisent ensemble dans les situations mais que les travailleurs sociaux sont acculés et n’ont d’autre choix pour contraindre le Conseil Départemental à rendre des comptes.
En réponse à cette nouvelle mobilisation, Monsieur POIRET a présenté un nouveau « plan d’urgence pour la protection de l’enfance »… urgence qu’il a lui même créé.
Ce plan, annoncé en juin 2022 face aux démissions, droits de retraits, nouvelles mobilisations des professionnelLEs, et après une augmentation en 2021 de seulement 0,1% du budget de la protection de l’enfance, est insuffisant !
Il fixe comme objectif impérieux « qu’il n’y ait plus un seul enfant en attente de placement confié au Département ».
Par cette phrase, le Département reconnaît sa propre défaillance !
Pour autant, les mesures annoncées sont insuffisantes .
Elles ne prévoient que la réouverture de 150 places en foyers sur l’ensemble du Département, ce qui correspond à peine aux besoins du secteur Roubaix-Tourcoing et sans aucune garantie de financement perenne !