« France Travail » : POIRET invente le dignitomètre !
Christian POIRET, président du Département du Nord et sa vice présidente, Doriane BECUE, par ailleurs maire de Tourcoing (par intérim de Darmanin), ont embarqué notre collectivité dans « l’expérimentation France Travail »… mesure gouvernementale de flicage et de remise à l’emploi forcée des allocataires du RSA.
Il et elle détournent les moyens de notre service public à des fins idéologiques et pour satisfaire leur obsession, quelque peu pathologique.
Jeudi 9 mars, SUD est intervenu au Comité Social Territorial pour dénoncer leur action politique, contraire aux missions de notre service public départemental.
Voici notre intervention…
C’est un dossier étrange que vous nous présentez. Un dossier bizarre qui parle de tout sauf de l’essentiel. On a donc l’impression que c’est un leurre. Nous sommes censés débattre de l’obligation pour les allocataires du RSA de fournir des heures de travail gratuit en contrepartie du versement du RSA, et nulle part le mot travail n’est écrit. Vous prétendez mettre en place un dispositif d’accompagnement renforcé, nous n’y croyons pas ! Vous masquez vos intentions, ou vous utilisez le mot « accompagnement » comme un mot valise qui ne veut plus rien dire, comme le fait le gouvernement.
Nous sommes censés débattre des conditions d’application de la réforme du RSA que le gouvernement intitule comme à son habitude, avec des mots qui masquent la réalité, « l’accompagnement rénové des allocataires du RSA ». Mais que tout le monde nomme « le RSA contre travail » ! Puisque c’est bien de cela dont il est question. Et d’ailleurs C Poiret l’a dit partout, le versement du RSA sera (pour l’instant de manière expérimentale) conditionné à des heures d’activité (Travail ou formation).
Et quand on entend ce qu’il dit de ces allocataires, ces personnes, y’a vraiment de quoi s’inquiéter !!! On le cite après la journée « réussir sans attendre » : « On va regarder pourquoi ils ne sont pas venus. Si les absences ne sont pas justifiées, des sanctions seront envisagées. On a encore 94 000 allocataires dont 35 000 ont entre 25 et 35 ans » (ces jeunes allocataires sont majoritairement des femmes seules avec enfants). « On ne va pas les payer jusqu’à 65 ans. Le département n’est pas un distributeur de billets ». Et plus tard à l’assemblée départementale : « il faudra un certificat médical et sur mon bureau, sinon il y aura des sanctions » !
Quel mépris !! Ou comme le titre un hebdomadaire national en décembre dernier « la réforme du RSA : la bêtise et la méchanceté au pouvoir ».
Donc, dans la même logique que la logique présidentielle, selon laquelle les devoirs viennent avant les droits (enfin pas pour tout le monde, pour certains cette logique s’inverse, pour les nantis par exemple), une logique qui s’oppose à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais c’est sans doute un détail, les allocataires du RSA devront signer un contrat qui consacre leurs devoirs. Des contreparties pour percevoir le minimum vital. Après qu’ils et elles soient soumis à un diagnostic rapide réalisé en binôme avec un travailleur social et un agent de pôle emploi. Faire croire que l’on peut comprendre ce que vit une personne, ce qui l’anime, ses difficultés etc, sans demande et en trois coups de cuillère à pot, ça aussi c’est un leurre. L’accompagnement, le soutien, l’aide, l’assistance ça demande du temps, le temps de la confiance.
Et là on pourrait citer N Mandela : « tout ce que vous faites pour moi, mais sans moi, vous le faites contre moi »
Et dans le dossier que vous nous présentez rien n’est précisé concernant les personnes qui, pour une raison ou une autre, n’arriveront pas à effectuer ces 15 ou 20h d’activité, ou ces 15 ou 20h d’accompagnement intensif ! Quelles sanctions leur réservez-vous ? Quelles sanctions réservez-vous aux femmes seules avec enfants (donc aux enfants aussi) qui constituent 1/3 des allocataires ?
ATD Quart monde le précise « demander davantage de contreparties pour l’obtention du RSA c’est s’éloigner toujours plus d’un droit inconditionnel à disposer de moyens convenables d’existence, consacré par la constitution et indispensable à la dignité humaine. Institutionnaliser davantage encore les sanctions, c’est accroitre l’insécurité et l’inquiétude chez les uns et le non recours aux droits chez les autres » Bref !! faire exactement le contraire de ce que sont chargés de faire les départements et leurs services d’action sociale (qui est, sécuriser protéger et garantir l’accès aux droits et les développer).
Puisque la dignité humaine n’est pas seulement un droit fondamental en soi, mais elle constitue la base même des droits fondamentaux. Le respect de la dignité implique de traiter une personne avec considération. Quelque chose est dû à l’être humain parce qu’il est humain. Toute personne mérite un respect inconditionnel (quel que soit ses origines sociales etc.). C’est la valeur fondatrice qui s’oppose à tous les arbitraires, les totalitarismes et les crimes contre l’humanité.
Puisqu’être dans l’extrême pauvreté ne suffit pas (nous vous rappelons que le RSA se situe très en dessous du seuil de pauvreté), il faut être aussi rendu responsable de sa situation.
À quoi sont confrontés les allocataires du RSA et plus globalement les chômeurs et tous les précaires ? Au coût et à la pénurie des modes de garde, à l’absence de permis de conduire, au manque de soins, au non accès, aux offres d’emploi inexistantes, à la discrimination à l’emploi, à des ressources qui ne permettent pas la satisfaction des besoins de première nécessité, au découragement, au mépris qui blesse, donc à des conditions d’existence très dégradées. Et tout ça c’est bien embêtant pour les décideurs, puisque pour réellement aider toutes ces personnes, comme ils le prétendent, il faudrait généraliser les modes de garde gratuits (et ce qu’il y a d’intéressant dans le projet que vous présentez c’est l’amorce de la création d’un véritable service public de la petite enfance) ou peu couteux, développer les transports en commun et leur gratuité, mettre fin aux déserts médicaux, rendre le logement accessible, développer tous les services publics de soin, créer un revenu suffisant et inconditionnel etc. Et c’est le contraire qui est fait !!
Au lieu de mener des politiques publiques concernant l’enfance, la santé, le logement, les transports, les décideurs, dont vous êtes, préfèrent alimenter la chasse aux prétendus « assistés » et contraindre les pauvres à effectuer 15 à 20h de travail gratuit par semaine (à priori 40% des allocataires sur Tourcoing seront bientôt confrontés à cette exigence), au profit, et pour le coup c’est le cas de le dire, d’une entreprise ou d’une collectivité. D’ailleurs, tous les salariés devraient s’alarmer d’une telle politique qui ramène le SMIC horaire, de fait, à 6,58 euros, en mettant une main d’œuvre gratuite à dispo des patrons. Sacrée mise en concurrence !!
Si vous étiez cohérents et honnêtes, et que vous vous alarmeriez vraiment pour le sort des chômeurs et des allocataires du RSA, vous prendriez position
- Contre la réforme de l’indemnisation chômage et la politique de radiation du ministère du travail (53 000 radiations par mois depuis le second semestre 2022, parfois juste pour un rendez-vous non honoré) qui alimentent par vase communiquant le nombre d’allocataires du RSA.
- Contre la réforme des retraites qui va d’emblée faire gonfler le nombre d’allocataires du RSA de 40 000, c’est déjà évalué et ce n’est qu’un début.
Non, vous êtes à la fois pour ces réformes et politiques publiques qui génèrent toujours plus d’injustice sociale et plongent les populations dans l’extrême pauvreté et pour la stigmatisation et le contrôle des allocataires du RSA. C’est le même logiciel. Si seuls les allocataires du RSA vous intéressent c’est parce qu’ils vous coutent.
Politique de stigmatisation qui s’illustre aussi dans le fait de créer des services spécifiques pour les seuls allocataires du RSA (les moyens d’aide sont définis en fonction de la nature des ressources perçues). Ces personnes relèvent de moins en moins du droit commun. Pourtant en quoi un allocataire du RSA a des besoins spécifiques à adresser à un travailleur social ou un médecin que n’a pas n’importe quelle personne précaire qui subit des conditions d’existence dégradées ?
Nous vous l’avions déjà dit en 2019, à l’occasion de la réorganisation de la DIPLE, nous vous le redisons, la répétition fixant la notion !
Les chercheurs de l’INSERM qui ont effectué des études sur le décès prématuré des personnes au chômage invitent les médecins généralistes et tous les praticiens du soin en général, à considérer ces patients comme une population à risque en terme de santé ! Puisque 14 000 d’entre eux meurent prématurément chaque année. Que fait un département comme le Nord par rapport à ce constat alarmant ? Quels moyens mettez-vous à disposition des travailleurs sociaux de secteurs, des SPS, dont c’est l’une des missions ? Comment investissez-vous pour préserver ces populations des risques qu’elles encourent ? Rien, au contraire, vous consacrez des millions d’euros à les contraindre davantage, vous les pistez et par là même vous accentuez les risques auxquels elles sont confrontées !
C’est pourtant ça la mission du département. Ce n’est pas la remise à l’emploi et souvent à n’importe quel prix. Le rôle du département et des services sociaux et de Service de Prévention Santé c’est de mettre en place des politiques publiques qui luttent contre les conséquences de l’exclusion économique et sociale, pour les prévenir, les limiter et/ou les réparer.
Le chômage est un fait de société qui cause souffrance, divorces, destructions familiales, précarité, pauvreté, difficultés parentales et parfois la mort. C’est sur ce champ là que le département doit intervenir. C’est çà son rôle et sa mission. Mission que vous détournez.
D’ailleurs puisque vous voulez remettre tout le monde au boulot, encore une fois, posez-vous la question, qu’est-ce que le travail, quelle est la valeur du travail ?
Qui travaille et qui ne travaille pas ? Qui produit de la valeur et donc qui en a à vos yeux ? Nous vous l’avions déjà demandé ! Nous, ici, représentants du personnel sommes-nous en train de travailler, de produire de la valeur ? Vous, ici, élu local êtes-vous en train de travailler, de produire de la valeur ? Et cette mère de famille seule qui tente d’élever tant bien que mal ses 2 enfants, qui perçoit le RSA depuis plusieurs années et qui développe une ingéniosité incroyable pour faire de quelques pommes de terre un repas appétissant pour que ses enfants ne souffrent pas trop de la situation, travaille-t-elle ? produit-elle de la valeur ? Est-elle utile socialement ? Doit-elle être harcelée par les services départementaux ?
Cette politique harcelante, stigmatisante et culpabilisante provoque colère et désespoir chez les allocataires du RSA. « Le collectif des précaires en colère » l’a d’ailleurs exprimé en faisant irruption le 31 octobre dernier dans les locaux de la MDIE de Lille, juste après le tweet de C Poiret qui annonçait fièrement que le Nord se portait volontaire pour expérimenter le travail gratuit et obligatoire pour les allocataires du RSA.
La violence de la charge médiatico-politique qui a suivi cet évènement, y compris dans l’hémicycle départemental, est à la mesure du mépris que vous adressez à ces personnes et au déni manifeste des conséquences de votre politique sur la vie concrète des personnes précarisées.
Nous avons voulu que des membres du « collectif des précaires en colère » puissent intervenir lors de l’instance en qualité d’expertEs… bien sûr l’employeur a refusé. Nous avons donc porté leur parole par la lecture de leur courrier adressé au président du Département du Nord.
Monsieur le président du département, Christian Poiret,
Messieurs-dames les collaboratrices et collaborateurs,
Bonjour la « Team » comme on dit chez vous,
Vous êtes pour nous, précaires, les petits gestionnaires d’une monde indéfendable,
et vous le savez bien !
Votre programme d’expérimentation d’un « accompagnement renforcé » pour personnes au RSA comme nous, ça ressemble plutôt à une mise au travail forcée qui ne dit pas son nom. 15/20h de taf dissimulé sans contrat ni possibilité de se syndiquer, fallait l’oser. Vos chantages à nos allocations en échange d’« activités » gratos façon TIG (Travaux d’Intérêt Général), on n’en veut pas et on se laissera pas faire. On les connaît vos « accompagnements », vos « dispositifs d’insertion », et les prestataires à qui vous faites appel pour nous foutre au turbin. On a du y aller à ces rendez-vous pour pas qu’on nous suspende nos droits, et on s’est rendu compte à quel c’est un mélange de bullshit, de psychologie positive et de flicage pour nous foutre la pression et nous pousser à accepter des conditions de travail toujours plus minables, des emplois usants, inutiles, absurdes, et
bien souvent néfastes pour l’environnement.
Qu’on soit au chômage ou au RSA, on est traité au mieux comme des personnes malades, mais le plus souvent comme des délinquant.es. Alors, nous, précaires du département du Nord, on a aussi pensé à un dispositif pour vous : l’immersion. Un espèce de « vis ma vie » de notre condition de
prolos mal adapté.es, réfractaires, profiteuses, faignants.
Ca commence dès l’école….
On nous fout au SNU pour nous faire gober de la propagande bien nationaliste, puis dans des missions locales ou dans des garanties jeunes pour nous faire avaler vos discours méritocrates, ou bien on nous sort des parcours scolaires généraux pour nous mettre en apprentissage, une main d’oeuvre pas chère ! Tout ça pour gagner trois cachou pour faire le même taf qu’une personne majeure qu’aurait été embauchée en CDD ou en CDI. « Tiens, prends ces 300balles contre tes 20h de taf semaine, c’est tout c’que tu vaux, c’est tout c’que tu mérites ». C’est déjà faire croire à nos chtiot.es qu’avoir le droit de vivre, ça se mérite, et qu’en tant que minot, tu devrais déjà être bien heureux qu’on te file trois miettes.
Ensuite, quand on trouve pas de taf ou qu’on refuse vos boulots de merde sous payés et absurdes, on nous convoque pour nous rappeler à notre condition de « chair à patron ». À ces rendez vous, on se retrouve face à des coachs qui ont l’air de dire : « si t’est pauvre, c’est pas à cause du système pourris ou parce que les riches t’exploitent, c’est parce que tu manques de prestance, parce que tu sais pas mettre en valeur tes qualités ou tes compétences, parce que t’as pas l’air confiante et optimiste. Bref, rentrer dans le moule de la bonne ptite employée docile, qui se pose pas trop de question et qui serait prête à aller au burn-out pour le patron : c’est ce que vous appelez « l’insertion », la lutte contre l’exclusion.
Dans ces programmes, il doit y avoir deux trois génies expert de l’innovation parce qu’il en fallait de l’imagination pour inventer ces dispositifs infantilisants et bidons, à base de « JO d’hiver et JO d’été »de l’emploi, d’escape game des métiers d’la cuisine, de foot pour voir « comment tu gères la défaite ». Ça, c’est quand on nous prend pour des débiles ! Et y’a aussi les autres rendez-vous, où on considère que si t’es allocataire de longue durée, c’est que tu es de mauvaise volonté. « Bah ouai, ce temps partiel d’auxiliaire de vie payé 7e de l’heure, il est à 50km de chez toi ! Bein t’as qu’à dormir dans ta bagnole sur le parking, comme ça t’économises les frais d’essence ! Les gosses ? Tu les laisses chez ta mère ! Ah t’as pas d’mère ? Bon bas pas d’bol, tu restes à la maison pour t’en occuper. Par contre, ça signifie que t’es improductive, et l’improductivité, c’est traité comme un handicap. Alors ça y va à coup de « diagnostiques sociaux » : on cherche à déterminer qu’est ce qui, chez toi, fait frein pour retourner au turbin. On nous envoie chez le psy, chez le médecin. De précaire, tu deviens une personne malade.
C’est comme ça qu’on voit les choses…
Vos rêves de croissances, on les méprise. Vos boulots qui détruisent les gens, la vie collective, et le vivant dans son ensemble, on les refuse ! À force, dans le Nord, on a capté que le chômage n’est pas le résultat d’une crise passagère mais le rouage d’un système qui utilise la peur de perdre son boulot pour faire accepter aux travailleuses et travailleurs des conditions de travail indignes dans tous les secteurs et peu importe la nature de l’emploi (qu’il soit salarié, ubérisé ou en auto-exploitation). Le RSA est une mini bouée de sauvetage qui peut permettre de refuser ces pures conditions d’exploitation, et c’est exactement pour ça qu’il est attaqué, comme l’assurance chômage.
NOUS dénonçons…..Le flicage et le harcèlement des plus précaires, et ce, dès le plus jeune âge.
NOUS ne voulons ni mourir au travail avant la retraite, ni être mis au travail de force.
NOUS n’avons pas besoin de leçons de morale au nom d’une « méritocratie » ou d’une « valeur travail » qui n’intéressent que ceux qui nous exploitent.
NOUS refusons les discours de culpabilisation individuelle permanente.
NOUS n’avons pas besoin des boîtes de prestataires privées qui ramassent des millions d’euros d’argent public chaque année pour fliquer les allocataires de pôle emploi.
NOUS refusons d’être réduit.e.s à des données traitées par des algorithmes, à des catégories administratives renseignées dans des logiciels informatiques, que ce soit auprès de la CAF, de pôle emploi ou pour des projets ciblant les habitantes et habitants des QPV (Quartier Prioritaires de la Ville).
Vous allez nous répondre…
Que « les affaires sont les affaires », quitte a dévaster les corps à coup de stress, d’ennui, de petites humiliations et de burn-out, d’accidents et de maladies professionnelles.
Ce dont nous avons besoin, c’est de liens collectifs réels, pas de rendez-vous bidons dans des
bureaux. De travail vivant, pas d’emplois pourris où nous perdons nos vies au profit de quelques puissants. NOUS sommes sorti.es de l’isolement, nous sommes organisé.es, et nous ne vous laisserons pas détruire nos vies, nos corps, nos espaces.
Collectif des précaires en colère du nord, membre de la coordination nationale de précaires.