Une chose est sûre, le télétravail…
Une chose est sûre… les mesures sanitaires prises face à la COVID19, de confinement, de réduction des effectifs en présence physique sur les espaces de travail ont propulsé le télétravail sur le devant de la scène.
Ce mode d’organisation du travail entre donc par effraction dans nos vies pro et personnelle et changera à coup sûr notre manière de bosser, les relations entre collègues, avec la hiérarchie et surtout avec le public.
Alors qu’il était jusqu’ici particulièrement confidentiel dans notre collectivité (à peine 600 télétravailleuSESrs en majorité des cadres A), il se propage immanquablement.
Parait que, selon l’administration (et par son porte-voix que plus personne ne peut ignorer maintenant, l’UNSA), 65% des agentEs du Département du Nord y sont favorables. Impossible néanmoins d’avoir des précisions quant aux 65% de combien d’agentEs et sur qui représentent ses 65% (des cadres ?).
Toujours est-il qu’il faut admettre que bon nombre de nos collègues, qui n’imaginaient pas télétravailler il y a encore quelques mois ont pris la décision d’en faire la demande. Seulement voilà, quand on creuse, on se rend bien compte qu’il y a autant de raisons de télétravailler qu’il y a de télétravailleuSESrs ! Pourquoi ? Et bien parce que ce mode de travail renvoie avant tout à une posture et une décision individuelle !
Et pourtant le télétravail interroge au-delà.
Sa généralisation dans le monde du travail, qui plus est dans la Fonction Publique et encore davantage dans notre collectivité (qui compte plus de 55% de ses effectifs sur des missions d’action sociale) n’est pas sans poser question.
Une chose est sûre… le télétravail n’est pas un acquis social !
Jamais les salariéEs, les travailleuSESrs, en plus de 150 ans, n’ont revendiqué et lutté pour travailler chez eux/elles. Il n’a jamais été question que les contraintes liées à l’emploi s’invitent dans la sphère privée.
Bien au contraire, les combats historiques du salariat visaient et visent encore aujourd’hui à libérer progressivement le temps de l’emploi… et ainsi, par la réduction du temps de travail au service d’un employeur, consacrer plus de temps à sa sphère privée et sociale : moins travailler pour profiter de la vie, de sa famille, ses proches, se cultiver, se reposer… Moins travailler pour travailler toutes et tous.
Le télétravail est une organisation spécifique du travail. Comme le taylorisme, le lean management, il est sorti de la tête d’employeurs dans l’idée de réduire les coûts (loyers, fluides et entretien des bâtiments par exemple), de maximiser l’efficacité des salariéEs à n’importe quel prix, de gommer toute référence au temps de travail (quand on télétravaille on ne travaille plus sur des horaires mais sur des tâches à effectuer), de faire disparaitre les collectifs de travail (pourtant protecteurs).
Mais une chose est sûre… le télétravail est séduisant !
Il permet de disposer autrement du temps gagné sans le transport, de passer par exemple plus de temps dans la salle de bain le matin… et pour celles et ceux dont les conditions de vie et de logement le permettent, d’avoir le sentiment de travailler dans un cadre plus serein.
Le télétravail permet aussi de quitter, un temps, des conditions et ambiances de travail difficiles.
Mais attention, proposer le télétravail comme « solution » pour fuir plutôt que d’exiger collectivement des conditions de travail décentes auxquelles nous avons toutes et tous droit est dangereux et profondément inégalitaire (puisque tout le monde ne peut pas télétravailler et que tout le monde ne télétravaille pas dans les mêmes conditions).
Il y a bien une chose dont nous sommes convaincuEs c’est que l’intérêt des agentEs réside dans le collectif et la lutte contre l’individualisation très « tendance » ces dernières années. Sur notre lieu de travail, même si autour de nous des collègues nous cassent les pieds et que nous aussi sommes « casseurs de pieds » de collègues, nous pouvons veiller néanmoins les uns sur les autres et être toutes et tous témoins de ce qui se passe !
Tous ces témoins disparaissent dès lors qu’on s’en isole.
Un télétravail confortable ?
En tout cas pas pour tout le monde. Lorsque certains peuvent, face à leur ordi ou tablette, profiter de la quiétude de leur jardin, au soleil, une limonade à la main, d’autres doivent travailler sur un bout de table dans leur 2 pièces et d’autres, encore, prendre la ligne 3 du bus, puis la 42 avant d’arriver au bout de 55 minutes dans les bureaux et services qu’ils (très souvent elles) sont chargéEs d’entretenir, de nettoyer.
Et surtout une chose et sûre… Le télétravail social n’existe pas !
Bon admettons, peut-être que le débat autour du télétravail serait plus facile à trancher s’il n’était question de prendre en compte que le souhait de ces 65% d’on ne sait pas combien d’agentEs de notre collectivité !
Mais le fait est que nous travaillons dans un service public, et pour la majorité, travailleurs sociaux et médico-sociaux et secrétaires médico-social, dans l’intérêt supérieur des usagers.
Or la question qui doit être centrale est : Qu’apporte le télétravail aux populations ?
Alors que jusqu’ici, congés, RTT, temps partiels… étaient parfois refusés au nom de la continuité du service public et d’un accueil permanent, tout d’un coup, parce que le télétravail pointe le bout de son nez, notre présence n’est plus indispensable, voire contre indiquée… par contre notre disponibilité semble devoir être totale et permanente.
Un Samsung Galaxy A10, un ordi HP avec accès VPN… et hop, on est opérationnel pour « accueillir » et « accompagner » le public. On peut même faire du suivi de grossesse et de nourrisson par téléconsultation avec PREDICE… plus besoin de maintenir ouvert des lieux de consultation PMI.
Dans les CRIP, on peut faire les évaluations exclusivement par quelques entretiens téléphoniques ! En SSD aussi plus besoin de voir les gens, les dossiers suffisent pour répondre à la demande explicite par une procédure ou un dispositif.
Mais ce télétravail là… c’est clair… ce n’est pas/plus du travail social et médico-social. C’est autre chose ! Ces taches peuvent être confiées à des gestionnaires administratifs forméEs aux catalogues de prestations.
Celles et ceux qui « pensent » et rédigent à la DGaSOL toutes les directives, sûrement en télétravail d’ailleurs, considèrent que le travail social se résume à l’ouverture de droits, l’instruction de dossiers dans des procédures ad-hoc et en cas de nécessité à du coaching à distance.
Alors oui, pour tout ça, un accès au réseau et un téléphone suffisent (bien qu’il soit établi que 11 Millions de français ont un rapport compliqué au numérique) !
Mais le travail social et médico-social n’est pas un service comme un autre.
Les professionnelLEs ne sont pas des gestionnaires de dispositifs ou d’algorithmes.
Sans les pratiques cliniques, le travail social et médico-social n’est qu’administratif. Or c’est la rencontre et la relation de confiance qui se construisent en direct qui, seules, permettent d’attendre un changement dans la vie de l’usager.
Et ce travail-là, qui constitue le fondement même des métiers du secteur social /médico-social et la quasi-intégralité invisible de l’activité, nous l’affirmons, n’est pas télétravaillable !
Et que dire de la prévention, cœur de métiers aussi bien en PMI que SSD et ASE ? Comment fait-on pour prévenir ou éviter l’apparition d’une difficulté ? Que nécessite ces actions ?
Pour nous, ce travail nécessite d’être présent, d’aller au-devant, d’être repéréE sur un secteur, d’observer y compris ce qui n’est pas exprimé verbalement, donc d’être en interaction, d’analyser, de créer la confiance… Rien de tout ça n’est possible en télétravail !
Et comme le travail social nécessite en permanence de s’adapter, de créer des réponses personnalisées qui n’existent pas dans les catalogues de dispositifs pondus ailleurs, il ne peut s’exercer seul.
Le collectif de travail, la pluridisciplinarité, la transversalité qui s’incarnent dans des relations y compris spontanées et informelles sont incontournables. De chez soi, en télétravail, si je lève la tête pour interroger, je ne trouve que le mur !
Depuis longtemps, à SUD, nous observons et nous nous inquiétons des dérives du travail social et médico-social dans les UTPAS et SPS. D’ailleurs, l’expression régulière des collègues, notamment lors des mobilisations de 2018 vient soutenir la perte de sens et les conflits de valeurs que cela engendre.
Avec la COVID et le recours opportuniste au télétravail, ces dérives s’accentuent et nous nous en alarmons. La généralisation du télétravail met le travail social et médico-social réellement en danger et ce sont nos décisions individuelles qui peuvent l’enterrer.
Alors oui, une chose est sûre… la question du télétravail nous donne des sueurs froides !
Pour toutes les raisons évoquées, le monde que nous prépare cette organisation du travail nous fait peur parce qu’elle suppose à terme « l’obsolescence des relations humaines ».
Nous aurions pu prendre le vent, réciter, nous aussi, notre petit couplet en faveur du télétravail parce qu’il parait qu’il est plébiscité.
Nous aurions pu aussi nous taire… Tout ça par souci électoraliste.
Nous avons choisi et pris le risque d’afficher notre réflexion, nos convictions.